Vision
du Nazaréen
"Parabole
de la corde et de la rivière"
Ma
méditation avait été longue et profonde, si profonde que mon âme
s'était séparée de mon corps.
Je
fus transporté dans le jardin d'une contrée éloignée de mon
habitation. Ce jardin m'était familier et j'y reconnaissais les
visages des êtres qui s'y promenaient tout en conversant avec amour.
Et je m'y tenais sous les branches majestueuses d'un grand cèdre,
regardant et attendant. Je sentais que j'étais parvenu dans ce lieu
saint dans un dessein précis. Et voici que sur l'un des chemins
s'avançait le Grand Être que j'avais toujours désiré servir.
Comme il approchait, je fus ébloui par l'éclat de son auréole
formée de couleurs incomparables, irradiée d'or.
Il
me baisa et me dit: « Mon
fils veux-tu me servir à nouveau comme tu m'as servi dans le passé
»? (L'auteur
se réfère à une incarnation précédente ou, mystique chrétien,
il était en rapport avec le Maître Jésus et avait eu l'occasion de
lui rendre service.)
Je
répondis: « Avec joie, mais de quelle manière puis-je le faire »?
Il sourit et dit:
«
Je vais te conter une parabole. Il existait une fois deux pays, l'un
où coulaient le lait et le miel, l'autre aride, déchiré de luttes
et ravagé d'inquiétude, si bien que le premier s'appelait le pays
de la félicité, le second le pays du malheur. Entre eux coulait une
rivière rapide, large, dangereuse et nombreux furent ceux qui se
noyèrent en essayant de la traverser.
Un
jour vint un homme qui, par amour de l'humanité, dit: en vérité,
je vais essayer de tendre une corde d'une rive à l'autre, et, même
si je dois périr au cours de cet effort, peu importe, à l'avenir
d'autres pourront se saisir de la corde et passer la rivière en
sécurité.
Cet
homme exécuta donc son projet ; il se procura une corde, en fixa une
des extrémités à un arbre et fit un noeud coulant à l'autre. Puis
il plongea dans la courant pour lutter contre les vagues.
Au
milieu des remous et de l'écume, des chasseurs l'ayant pris pour un
animal, décochèrent leurs flèches sur lui et le blessèrent
mortellement.
Par
un ultime effort avant de sombrer, il réussit à accrocher la corde
autour d'un tronc d'arbre. Il avait perdu la vie, mais il avait mené
à bien son projet, malgré le manque de discernement des chasseurs.
Dès
cet instant, ceux qui furent témoins de l'événement considérèrent
cet homme comme un héros et l'adorèrent disant: il est mort pour
nous sauver, il est digne de notre amour.
Tous
lui rendaient un culte, mais bien peu suivirent son exemple et
tentèrent de traverser la rivière. Ils se disaient en eux-mêmes: «
Nous ne risquons pas de nous noyer si nous tenons la corde, mais
l'eau est si froide et la rivière si large que le danger de la
traversée demeure grand. »
Et
ainsi, au cours des âges, la corde fut presque oubliée. Étant
inemployée, elle fut recouverte d'algues et de branches
enchevêtrées, tant et si bien qu'on ne la distingua plus.
Mais
le culte de ce héros survécut, le peuple érigea des monuments à
sa mémoire, chanta des hymnes en son honneur et continua à lui
adresser des prières en souvenir du grand amour qu'il lui avait
témoigné.
Puis
vinrent une deuxième, une troisième et une quatrième génération
; des sages, des orateurs, des savants prêchèrent les vertus du
héros et dirent comment, en mourant, il avait sauvé les hommes.
Mais il ne fut jamais question de la corde lancée par dessus la
rivière, on l'avait complètement oubliée. Les arguments, les
discours et les enseignements des sages finirent par créer une
grande confusion. Les superstitions foisonnèrent et rares furent
ceux qui parvinrent à discerner l'erreur de la vérité.
Des
discussions et des querelles surgirent. Les persécutions sévirent
contre ceux qui détenaient encore quelques parcelles de la vérité.
Le chagrin et l'inquiétude empirèrent dans le pays du malheur.
A
la fin un groupe d'orateurs déclara: « Pourquoi cette dispute? La
seule chose nécessaire est d'adorer ce héros comme un dieu et de
croire qu'il est mort pour le salut de tous. Et voici, lorsque nous
mourrons, nous entrerons sans aucune difficulté dans le pays de la
félicité. Si notre corps nous empêche actuellement de traverser la
rivière, après la mort notre âme s'envolera vers l'autre rive.
L'amour, la puissance, le courage du héros étaient si grands que
tout ce que nous demanderons à son esprit, il nous l'accordera en
retour si nous lui témoignons suffisamment d'amour. »
Quand
le peuple entendit cela, il ressentit une joie immense et couvrit
d'honneurs les orateurs, disant: « Grande est leur sagesse car ils
nous montrent un chemin facile. C'est bien simple d'adorer, de prier
et de solliciter notre héros pour obtenir le salut au moment de
notre mort. Donc, maintenant, mangeons et buvons, soyons gais et
tirons le meilleur parti de notre séjour dans le pays du malheur. »
Cependant
l'esprit de ce héros contemplait ses frères avec tristesse tout en
écoutant leurs oraisons et leurs supplications. Il chuchota à leurs
oreilles: « Mes enfants, vous errez, en vérité, j'ai vécu pour
vous sauver, ma mort n'est qu'un épisode de l'effort que j'ai tenté
; elle ne peut être la cause de votre salut.
«
Hélas, vous avez oublié la corde que j'avais lancée par dessus la
rivière entre le pays du malheur et celui de la félicité ; or,
c'est uniquement dans ce but que j'étais venu.
«
Et c'est par amour pour vous que mon esprit se tient près de vous,
prêt à vous réconforter et à vous encourager au jour de
l'adversité ; mais il m'est impossible de vous transporter de
l'autre côté de la rivière, quelles que soient vos prières et vos
supplications. »Mais le bruit de leurs oraisons et de leurs requêtes
était trop grand pour leur permettre de percevoir la voix de son
esprit ; ils restèrent donc dans le pays du malheur.
L'Être
radieux dit alors en souriant: Voilà la fin de ma parabole et son
titre est: superstition. Je répondis: Maître, ai-je bien compris ta
parabole et est-ce que feu saisis bien le sens: ceux qui ne savent
pas discerner l'essentiel du non essentiel sont entachés de
superstition? Et
Il conclut:
Tu
dis vrai. Tu dois savoir que l'Être illuminé a dit, il y a fort
longtemps: « Chacun est l'artisan de son propre salut » (Le
Bouddha.) Néanmoins, tu peux aider tes frères et en ce faisant tu
me sers. N'oublie pas que la plus grande et la meilleure des aides
est d'enseigner à l'homme à s'aider lui-même.
Je
lui répondis:
O
Maître, c'est à cette fin que tu es venu, mais l'homme ne l'a pas
compris! Il reprit:
De
nouveau tu dis juste ; en vérité, dès le début j'ai été
incompris, de même que ma mission qui était de montrer le chemin à
l'humanité.
Et
bien que de grands sanctuaires m'aient été consacrés, que mon nom
ait été gravé dans d'innombrables livres et que l'homme ait taillé
des images à ma ressemblance, les nations qui font profession de
croire en moi n'ont pas suivi ma voie. J'ai été trahi par mes
propres chroniqueurs: ils m'ont représenté comme étant capable de
colère, d'orgueil, de présomption, comme quelqu'un qui accomplit
des miracles pour faire étalage de ses pouvoirs, ils ont formulé
encore nombre d'autres griefs non fondés sur la vérité.
Malgré
tout cela les hommes ont voulu faire de moi un Dieu et se sont
querellés à mon sujet ; actuellement encore ils se disputent pour
savoir sous quelle forme m'adorer. Pourtant ne leur ai-je pas rappelé
qu'eux aussi sont des dieux, et que le plus petit et le plus humble
d'entre eux est également fils de Dieu ; toute créature « a en
Dieu la vie, le mouvement et l'être ». (Actes 17/28.) Malgré cela
les hommes ont agi comme si j'étais flatté d'être adoré en tant
que Fils unique de la Divinité ; ils m'ont ainsi transformé en un
être qui aime l'adulation et la vaine gloire du pouvoir.
Cependant
penses-tu que celui qui est venu par amour se soucie le moins du
monde du nom et du titre qu'on lui donne? En vérité, un homme
pourrait-il s'inquiéter de telles futilités quand il enseigne
l'humilité, la modestie et toutes les qualités qui procurent le
bonheur et la paix?
Mais,
hélas parce que quelques hommes cherchèrent à accaparer le
pouvoir, ils se servirent de mon nom pour se justifier, disant: «
Croyez en lui » et ajoutant dans le secret de leur coeur « afin que
vous puissiez croire en nous. Ainsi nous dominerons vos âmes ». Je
leur pardonne leurs manquements et le tort qu'ils m'ont fait ; bien
que j'aie essayé de changer leurs méthodes et de faire entendre ma
voix, ils sont si absorbés en eux-mêmes et si pénétrés de leurs
préjugés qu'ils font la sourde oreille.
En
vérité, j'ai dit souvent: « Mes enfants, quel profit trouvez-vous
à me couvrir de vos flatteries, à me donner des noms retentissants?
Ce que je suis importe peu pourvu que vous suiviez la règle d'or que
moi-même et d'autres avant moi nous avons donnée. Je suis venu
montrer la voie de la paix, mais cette voie passe par l'éducation du
coeur et par la volonté d'aimer toutes les créatures. »
C'est
dans ce but que j'ai donné maintes instructions à mes disciples ;
or, en dépit de ces avertissements, l'homme a interprété mes
paroles à la lettre au lieu d'en saisir l'esprit ; il s'en est servi
comme d'une excuse pour justifier la haine, la guerre, la lâcheté,
le manque de coeur et la bigoterie. L'humanité n'a pas suivi mes
préceptes, elle n'a su ni les comprendre ni les appliquer. Elle
croit fermement les mettre en pratique alors qu'elle est aveuglée
par ses vertus imaginaires.
En
outre, beaucoup d'humains ont dénaturé mes préceptes. En agissant
d'une manière absurde et folle, ils espéraient me plaire davantage.
De plus ils ont pensé acquérir des mérites et trouver un chemin
facile pour faire leur salut en obligeant à croire l'incroyable,
engendrant ainsi une fausse croyance. De pieuses fraudes ont été
commises en mon nom, les chroniques de ma vie en furent modifiées,
des erreurs se sont substituées à la vérité. On m'a confondu moi,
l'homme, avec l'état christique qui est destiné à tous et non à
moi seul et dont je voulais montrer le chemin. Celui qui a trouvé la
Béatitude désire que d'autres la découvrent également et, en
vérité, l'état christique est cette béatitude que rien ne peut
ravir.
Et
voici l'état christique est aussi le salut ou la libération de
l'âme, c'est l'union avec l'Unique Conscience divine, celle que
j'appelle le Père. Car, en vérité, la Conscience est une et « je
suis en tous et tous sont en moi et tous sont unis en moi avec les
autres ». (Adaptation de plusieurs versets du Chapitre 17 de
l'Évangile de saint Jean.)
Mais
mes disciples ont abandonné les choses de l'esprit et se sont
attachés aux choses terrestres. Ils ont perdu la clé de mes paroles
et de celles qui ont été prononcées avant moi ; ils ont lu avec
les yeux de la chair au lieu de lire avec les yeux de l'âme.
Sache
que ceux qui m'ont précédé ont eux aussi montré la voie qui
conduit à l'état christique, mais ils lui ont donné des noms
différents. Pour éviter que les hommes ne se disputent au sujet de
ces noms, n'ai-je pas dit: J'ai
encore d'autres brebis qui ne sont pas de cette bergerie. (Jean
10/16.)
En
vérité, j'ai été bien incompris quand on m'a appelé « l'Homme
de douleurs ». Comment un homme de douleurs pourrait-il enseigner le
chemin de la béatitude puisque l'aveugle ne saurait conduire
l'aveugle ainsi que je l'ai dit jadis? Comment les souffrances
infligées par un monde sans charité pourraient-elles diminuer cette
paix intérieure, infinie que le monde ne saurait ravir?
Et
la croix, ah! que l'humanité a peu compris ce symbole qui représente
la crucifixion de la nature inférieure afin que la nature supérieure
puisse parvenir à la Béatitude! Chacun doit être soumis à la
crucifixion pour parvenir à l'état christique.
C'est
à cause de cela que je suis venu vers toi afin de rappeler beaucoup
de ces vérités. Ceux qui les liront seront réconfortés en ces
jours de tribulations.
Terminant
ainsi son discours, l'Être radieux me prit affectueusement par la
main et me conduisit au loin, vers les cités que nous parcourûmes,
invisibles aux hommes.
Extrait
du livre : Vision du Nazaréen
pages
10,11,12,13